Georg Friedrich Haendel, Nabal

Prise d'une grande présence, mais nimbée.
Notice (assez confuse ; livret en anglais seulement)
Recommandé

Genèse problématique que celle de cet oratorio qui n'est pourtant pas à proprement parler une œuvre apocryphe de Haendel, mais qui relève, plus que toute autre, du procédé, alors si couramment répandu du « pasticcio » : pastiche ne signifiant pas, rappelons-le, imitation du style d'un artiste par un autre, mais bien récupération par un artiste de son propre matériau à d'autres fins.

Le cas de Nabal, créé à Covent Garden en mars 1764, soit cinq ans après la mort de Haendel, est pour le moins un cas d'école. Il s'agit en fait d'une compilation d'œuvres de Haendel établie par John Christopher Smith, né en 1712 et fils du principal copiste et assistant de Georg Friedrich (J.C.S. junior devint à son tour la béquille de notre Germain albionisé quand celui-ci se mit à souffrir de cécité...).

La notice étant aussi claire que la coque d'un pétrolier sur la Tamise, je suppute que c'est ce rejeton Smith qui a bricolé cet oratorio sur un livret de Thomas Morell dont vous trouverez sûrement une exposition plus claire que celle de la notice en lisant votre Bible (I Samuel, 25). Reste que trois constats s'imposent : toute cette belle musique est bien de Haendel, et du meilleur, la réalisation d'ensemble (musique/livret) est très réussie et l'interprétation de Martini est magnifique.

Le chef signe en effet ici l'un de ses plus enthousiasmants enregistrements haendéliens, au même titre que son Saul (N° 125) et son Athalie (note 9, N° 119), mais avec un chœur (admirable Junge Kantorei !) encore plus étonnant de présence et de précision (CD II, plage 14), mais surtout de mystère et de délicatesse (CD I, plage 3, où le mezza voce est d'une humanité pétrifiante).

Se donnant à fond et dans une esthétique délibérément plus classique que baroquisante, les solistes sont tous époustouflants : justesse, beauté des timbres, implication dramatique sont toujours au rendez-vous, et l'on admirera en outre l'héroïsme du David de Knut Schoch, le lyrisme chaleureux d'Abigail (Maya Boog), le cristal juvénile du Berger de Linda Perillo et la bonhomie du Nabal de Stephan MacLeod, bien loin d'ailleurs du sinistre personnage décrit par la Bible : son air à boire, « Still fill the bowl » (I, 12), permet de se faire une idée de sa truculence contrôlée.

On peut certes regretter que le continue soit parfois un peu trop uni, le clavecin sans imagination débordante et l'acoustique générale plutôt caverneuse, il n'empêche qu'il y a ici, outre les qualités déjà évoquées, une vie pétillante et beaucoup de compétences vocales qu'on ne saurait négliger.

Répertoire, Juin 2003
Xavier de Gaulle